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Résistance de la cercosporiose de la betterave aux fongicides

Rédigé par Adama | 11 oct. 2024 08:52:45

Article publié par Sylvie Llados(1), Céline Roux(1), Alexandra Donati(2), Richard Rigo(3) et Thierry Barchietto(3), paru dans le numéro PHYTOMA N° 775 de Juin-Juillet 2024.
(1) Adama SAS France - Suresnes. (2)Adama Deutschland GmbH - Cologne (Allemagne). (3)BIOtransfer SARL - Montreuiparu dans le Phytoma 

La cercosporiose, causée par le champignon Cercospora beticola Sacc., est la maladie fongique foliaire la plus grave et la plus importante de la betterave sucrière (Beta vulgaris L.), partout où elle est cultivée dans le monde. Cette maladie entraîne des pertes de rendement en racines et en sucre pouvant atteindre 50% en cas de forte pression de maladie. Les symptômes de la maladie se limitent aux feuilles et sont caractérisés par des taches nécrotiques grises à brunes, avec des bordures rougeâtres à brunes (photos 1 à 3). Les taches augmentent en taille et en nombre à mesure que la maladie progresse, ce qui donne lieu à des feuilles complètement nécrosées.

La cercosporiose, une maladie polycyclique

Le champignon fait partie du genre Mycosphaerella au sein du phylum Ascomycota. La maladie se caractérise par une répétition de cycles de contamination et de dissémination au cours d’une même saison de croissance. L’infection est initiée par des conidies aéroportées ou dispersées par éclaboussures qui pénètrent dans la feuille de la betterave sucrière à travers les stomates et donnent lieu à une croissance d’hyphes intercellulaires. Des lésions se forment sur les feuilles à la suite du développement du mycélium du champignon, au sein desquelles se trouvent les conidiophores. Ces structures vont permettre la formation de spores et la dissémination du pathogène (Figure 1).

Quels sont les moyens de lutte ? 

Rotations, variétés, fongicides 

La cercosporiose est gérée à l’aide d’un système de lutte intégrée qui comprend des pratiques culturales telles que la rotation sans cultures-hôtes et le travail du sol, la plantation de cultivars modérément résistants et l’utilisation de fongicides positionnés précisément. Parmi les substances actives les plus utilisées actuellement dans la lutte contre la cercosporiose figurent le difénoconazole de la famille des triazoles (inhibition de la biosynthèse des stérols par déméthylation, FRAC 3(1)) et la fenpropidine de la famille des pipéridines (inhibition de la biosynthèse des stérols par réduction puis isomérisation, FRAC 5). À ces produits unisites s’ajoutent des produits à mode d’action multisite, le soufre et le cuivre, ce dernier étant utilisable seulement par dérogation (voir tableau).

Les applications fréquentes d’un même produit chimique au cours d’une saison de croissance de la plante favorisent la sélection et la multiplication de souches résistantes du champignon-cible, ce qui constitue une menace majeure dans la lutte chimique contre les maladies. La résistance aux fongicides peut être définie comme l’adaptation stable et héréditaire d’un champignon à un fongicide entraînant une sensibilité inférieure à la normale à ce fongicide (Delp et Dekker, 1985). Dans un contexte de raréfaction des solutions phytosanitaires disponibles, il devient donc vital de gérer l’apparition de phénomènes de résistance.

Résistances actuelles aux fongicides 

Actuellement, la résistance aux fongicides à l’encontre de la cercosporiose concerne uniquement les strobilurines et les triazoles. La résistance aux strobilurines est généralisée et forte. Concernant les triazoles, il existe une résistance croisée(2) au sein des molécules de cette même famille, mais qui reste variable et modérée selon les sites analysés (Adama-Blog, 2022). Au cours de ces dernières années, cinq substances actives fongicides autorisées contre Cercospora beticola ont été retirées du marché (époxiconazole, propiconazole, cyproconazole, fenpropimorphe et pyraclostrobine). Désormais, 69% de la protection fongicide repose sur deux substances actives piliers – le difénoconazole (triazole) et la fenpropidine (pipéridine) (voir tableau) – et six autres substances : le tétraconazole, le méfentrifluconazole, l’azoxystrobine, le fluxapyroxade, le soufre et le cuivre (dérogation 120 jours). 

Monitoring de la résistance aux fongicides de Cercospora beticola 

Suivi de la résistance à l’encontre du difénoconazole et de la fenpropidine

En raison d’une baisse d’efficacité sur le terrain de certains fongicides, comme les strobilurines, utilisés dans la lutte contre la cercosporiose, un important programme de monitoring a été mené par Adama en 2018, 2021 et 2022. Ce monitoring s’est focalisé sur les niveaux de sensibilité existants envers les deux substances actives les plus utilisées contre la cercosporiose, le difénoconazole et la fenpropidine. Des souches de C. beticola ont été isolées en 2018, 2021 et 2022, dans différentes zones de culture de betterave sucrière en France (Loiret, Champagne-Ardennes, Picardie), afin d’évaluer une éventuelle diminution et évolution de la sensibilité des populations de C. beticola au difénoconazole et à la fenpropidine, et déterminer le niveau de résistance croisée existant entre ces deux molécules. 

Il apparaît clairement qu’il existe une résistance moyenne à forte au difénoconazole chez les souches de C. beticola isolées en France en 2018, 2021 et 2022. Néanmoins, la proportion de souches moyennement à fortement résistantes (FR > 250) au difénoconazole a indiqué une diminution entre 2018 et 2022 (Figure 2A). La grande majorité des souches de C. beticola analysées présente un faible niveau de résistance à la fenpropidine (FR < 10), aucune souche moyennement à fortement résistante à cette matière active n’a été détectée entre 2018 et 2022 (Figure 2B).

De plus, ces deux substances pré sentent une résistance croisée positive faible ( facteur de corrélation R de 0,35) chez les 223 souches de C. beticola françaises isolées durant ces trois campagnes de prélèvement, et ce, grâce à des sites d’action différents, mais complémentaires (Figure 3).

Une synergie entre le difénoconazole et la fenpropidine

Des analyses in vitro complémentaires ont été menées sur les souches isolées pour évaluer l’efficacité du difénoconazole et de la fenpropidine en mélange. Le mélange testé contient un ratio de 3,75/1 respectivement pour la fenpropidine et le difénoconazole (Spyrale, 375 + 100 g s.a./l). Sur une sélection de dix souches de C. beticola isolées en 2021 présentant différents niveaux de sensibilité au difénoconazole, l’efficacité résultante du mélange s’est avérée plus importante que les efficacités de chaque substance active testées seules. Les facteurs d’interaction (FI) entre les deux matières actives(3), calculés avec la formule de Wadley (Gisi et al., 1985), sont tous supérieurs à 1,5, valeur fixée par Wadley pour révéler une interaction de type synergique entre molécules dans un mélange. Cette interaction positive, qui varie de 6 à 243, n’est pas touchée par le niveau de sensibilité de C. beticola au difénoconazole (Figure 4). Ce mélange présente in vitro des efficacités fortement synergiques même sur des souches ayant des facteurs de résistance élevés.

Une efficacité encore solide du difénoconazole

Les travaux réalisés au laboratoire in vitro ont mis en évidence qu’il existe une résistance allant de forte à moyenne au difénoconazole au sein de souches de C. beticola isolées en 2018, 2021 et 2022 et que la résistance à la fenpropidine observée chez ces mêmes souches restait faible (Figure 2). Plusieurs des souches de C. beticola isolées ont été sélectionnées afin d’évaluer leur sensibilité face à du difénoconazole formulé appliqué de manière préventive sur betterave en conditions contrôlées. Des plants de betterave sucrière âgés de deux mois du cultivar ‘Silota’ ont été traités avec de l’eau distillée (témoin) ou du difénoconazole formulé appliqué à 0,5 l/ha (équivalent 125 g s.a./ha). Un jour après le traitement, les plantes ont été inoculées avec une suspension mycélienne broyée et calibrée d’une souche de C. beticola. Les plantes ont été maintenues en conditions contrôlées favorisant le développement de la maladie. Quatre semaines après l’inoculation, les symptômes causés par la cercosporiose ont été analysés et l’intensité de l’infection a été évaluée en pourcentage de la surface totale des feuilles. L’efficacité fongicide du difénoconazole sur les différentes souches a été déterminée à partir de ces valeurs d’intensité d’infection, et exprimée en pourcentage du témoin non traité. Les efficacités fongicides obtenues sur les différentes souches de C. beticola testées sont présentées en Figure 5.

L’efficacité du difénoconazole (125 g s.a./ha) est variable selon la souche de C. beticola inoculée sur plante, allant de 91,3 % à 18,6 %. Il apparaît qu’une augmentation très significative du FR au difénoconazole obtenu in vitro est corrélée avec une baisse d’efficacité. Cependant, l’observation d’une baisse importante de l’efficacité semble nécessiter des FR très élevés, là où une souche avec un FR de 192 démontre encore une sensibilité au difénoconazole avec 62% d’efficacité. Sur l’ensemble des souches isolées au cours de ces trois campagnes, seule une faible minorité des souches (13%) présentent un FR supérieur à 250 (Figure 2), indiquant donc une efficacité du difénoconazole encore supérieure à 60% sur plante, qui est proche de l’efficacité observée au champ pour cette substance active (50%).

Qu’apporte le monitoring de la résistance des fongicides ?

Les travaux au laboratoire ont mis en évidence que les souches de C. beticola étudiées durant les trois campagnes de monitoring présentaient une résistance faible ou moyenne au difénoconazole. C. beticola présente une sensibilité importante à la fenpropidine, démontrant la faible résistance croisée positive entre cette substance active et le difénoconazole.

La fenpropidine seule a une efficacité au champ de l’ordre de 58 %, là où le difénoconazole démontre une efficacité allant de moyenne à forte (Adama-Blog, 2022). L’efficacité de la fenpropidine peut être exploitée en association au difénoconazole, créant un mélange efficace quel que soit le type de souches de cercosporiose résistantes détectées in vitro. Cette molécule ne présente à ce jour aucun cas de résistance : elle est donc utile dans la gestion de la résistance. De plus, les analyses in vitro sur les souches isolées du champ indiquent une forte synergie entre l’action fongicide du difénoconazole et de la fenpropidine, indépendamment du niveau de sensibilité des souches au difénoconazole. Ces résultats soulignent l’intérêt du mélange de ces deux matières actives dans la lutte contre C. beticola.

Adama a testé au champ depuis 2007 différentes associations de substances actives, dont le produit Spyrale (difénoconazole (100 g/l) + fenpropidine (375 g/l), appliqué à la dose de 1 l/ha) et n’a pas constaté de baisse d’efficacité à l’encontre de la cercosporiose.

Pour conclure, le monitoring de la sensibilité des populations naturelles de C. beticola aux substances actives est un levier primordial permettant la détection précoce de pertes de sensibilité, de leur fréquence et de leur dynamique spatio-temporelle au sein des populations. Ces suivis de monitoring in vitro sont à compléter avec des essais sur plantes, permettant de rendre compte de l’importance et de la correspondance des facteurs de résistances obtenus in vitro face à des efficacités biologiques contre la maladie. Cet ensemble d’expérimentation contribue à définir des stratégies de prévention ou de gestion des résistances adaptées et responsables, spécifiques à chaque mode d’action, en se basant, d’une part, sur les caractéristiques des souches résistantes et, d’autre part, sur leur distribution et leur évolution dans les populations.

Des indicateurs de la résistance : CE 50 et FR

La concentration efficace à 50% (CE50) est l’outil retenu pour mesurer la sensibilité d’un pathogène à une molécule fongicide. Cette valeur correspond à la concentration nécessaire de produit pour neutraliser 50% de la souche pathogène. Il s’agit de la valeur médiane entre l’absence d’efficacité et la réponse maximale qu’il est possible d’obtenir après un temps d’exposition donné à la substance active. Plus cette valeur est élevée, plus le pathogène est résistant à cette matière active. Le niveau de résistance, aussi appelé facteur de résistance (FR), correspond au « rapport des quantités de fongicides nécessaires pour obtenir le même effet sur des individus résistants que sur des individus sensibles de référence » (Secor et al., 2010). Le FR est ainsi exprimé sous la forme du rapport CE50 souche résistante/CE50 souche sensible, calculé en exposant les deux souches de sensibilités différentes à des gammes de concentrations en fongicide adaptées, dans des conditions identiques et contrôlées.


(1) Fungicide Resistance Action Committee, www.frac.info (en anglais).
(2) La résistance croisée d’un fongicide se réfère à la capacité d’un organisme pathogène à développer une résistance non seulement au fongicide spécifique auquel il a été exposé, mais également à d’autres fongicides qui appartiennent à la même classe chimique ou qui partagent un mode d’action similaire.
(3) Le type d’interaction existant entre deux molécules présentes dans un mélange est déterminé d’après la valeur du facteur d’interaction (FI) : FI < 0,5 – interaction de type antagoniste ; 0,5 > FI < 1,5 – interaction de type additive ; et FI > 1,5 – interaction de type synergique.

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